Les maccabées ne sont pas morts (reportage au Maccabi Haïfa)

Publié le par Matthieu Deprieck

Plutôt bien partis pour passer les phases de poule de la coupe de l’UEFA grâce à leur victoire sur Auxerre (en octobre 2006), les joueurs du Maccabi Haïfa ont dû surmonter les affrontements avec le Hezbollah qui ont frappé de plein fouet leur ville cet été. Reportage sur place.

 

En Israël, il y a la bière Maccabi, l’équipe de basket Maccabi, les cinq clubs de foot Maccabi. Maccabi, c’est surtout à l’origine, dans l’Ancien Testament, l’épisode des Maccabées, soit des juifs d’Israël qui, lassés d’un pouvoir hellénique autoritaire, renverse le roi Antioche IV Epiphane en 165 avant Jésus Christ. Plus de deux mille ans après, l’image d’un peuple juif puissant, capable de surmonter n’importe quel obstacle pour vivre selon ses coutumes et sa religion, capable de relever la tête et de poursuivre la marche en avant, est toujours d’actualité.

Pas étonnant alors que les cadres du Maccabi Haïfa, soit parce qu’ils ont participé aux cinq titres de champions d’Israël gagnés en six ans, soit parce qu’ils vivent depuis leur enfance dans les parages, affirment ne pas avoir tremblé lors des bombardements de l’été dernier.

Le défenseur Deykel Keinan est né à Rosh Hanikra, dans un kibboutz accroché à la frontière avec le Liban. Le Hezbollah, il connaît : « Tout ça, ça fait partie de ma vie. Dans le passé, on a déjà vécu une quinzaine d’accrochages [comme ceux de cet été]. » A voir Deykel, tout sourire, plaisantait avec un journaliste après l‘entraînement, dire que Haïfa est une belle ville, que les femmes y sont magnifiques, tout ça sur arrière-fond de ciel azur et de mer Méditerranée, on peut se dire que le Hezbollah ne leur a décidément pas fait peur.

 

Même pas peur

 

Alon Harazi est l’autre dur à cuire qui accepte d’évoquer spontanément la guerre de cet été dans un magnifique euphémisme : « la population était terrée dans les abris, des gens sont morts … les conditions optimales d’entraînement n’étaient alors plus réunies. » Comme Deykel, Alon est du coin. Il est surtout l’un des capitaines de l’équipe. En ce sens, il a sûrement dû réconforter ses camarades moins costauds que lui, plus chamboulés par les roquettes qui tombaient quotidiennement sur la ville. Eh bien non ! Alon est fier de dire que le rôle de capitaine à Haïfa n’est que symbolique, qu’il y a d’ailleurs plusieurs leaders et que ses coéquipiers n’avaient pas besoin de lui pour être forts.

Parlant de ses proches, Deykel, peut-être sans le vouloir, rectifie et évoque le climat qui régnait dans l‘équipe l‘été dernier. « Il a fallu rassurer les camarades très effrayés. Ils n’arrêtaient pas de prendre des nouvelles [de mes proches]. Je leur ai dit de partir, de quitter Haïfa, d’être prudents, de se rendre dans les abris, d’écouter les infos à la radio.» Des joueurs de Haïfa auraient eu peur ? Ils auraient reçu le soutien de piliers du club ?

 

Sans aide « on aurait pété les plombs »

 

Alain Masudi confirme. Congolais de naissance, arrivé à l’âge de trois ans en France, il débarque en Israël en 2004. Et puis en juin dernier, il rejoint le Maccabi Haïfa. La guerre, il n’y était bien sûr pas préparé, il n’a pas traversé cette période, seul, sereinement, comme l’ont peut-être fait d’autres. Lui a compté sur l’appui des anciens : « c’est sûr qu’ils nous ont aidé, s’ils ne l’avaient pas fait, on aurait certainement pété les plombs ». Alain ne parle pas que pour lui mais pour l’ensemble des joueurs étrangers ou nouvellement arrivés en Israël : essentiellement des sud-Américains. « C’était très dur de jouer alors qu’à la télé, on voyait des roquettes tomber sur notre ville », poursuit-il. Le discours maîtrisé de deux joueurs ne reflète pas l’état d’esprit de l’équipe. Certains ont peut-être serré les dents, les autres, peu habitués aux attentats et aux bombardements, ont reçu les conseils des premiers. Une sorte de cellule psychologique interne formée par les anciens à destination des nouveaux.

 

Le foot israélien à l’âge de pierre

 

Les propos d’Alon et Deykel sont 100% Maccabi : la guerre est finie pour toute l’équipe, les joueurs sont restés motivés et prêts à remporter un nouveau championnat. Deykel a trouvé la phrase qui pourrait servir de devise au club : « la guerre n’est pas une excuse pour ne pas jouer, on doit faire notre boulot. » A entendre les deux joueurs, le Maccabi Haïfa est un club professionnel qui gère la guerre comme un club écossais gère les mauvaises conditions climatiques. 

Ce professionnalisme, le club n’a pas attendu les bombardements pour l’exposer. Avant les roquettes, il y a la médiocrité du championnat qu‘il faut dépasser pour prouver que le Maccabi Haïfa est une grande équipe. La veille de l’entraînement, le 10 septembre, le club a inauguré un tout nouveau centre à la sortie nord de Haïfa. En fait, deux terrains, en bordure de mer, au milieu d’une zone désertique proche de l’autoroute, accompagnés de deux préfabriqués, qui accueillent une salle de massage, le bureau de l’entraîneur et un bar. Le contraste avec la ferme à bestiaux que l’on croise sur le chemin caillouteux menant à l’entrée frappe l’œil. Le stade, lui, se situe dans le centre-ville. Qyriat Eliezer, c’est la « Mecque du football israélien », comme l’indique le site Internet du club, avec ses 14 000 places. Le bâtiment qui parait daté de Mathusalem n’était rempli qu’à moitié pour le deuxième match de championnat face à Ashdod début septembre. Le Maccabi l’avait emporté 1-0.

 

Une équipe éparpillée entre Tel Aviv et Haïfa

 

Des supporters rencontrés une semaine après cette première victoire de la saison et une heure avant le match à l’extérieur contre Petah Tikvah, dans la banlieue de Tel Aviv, ne sont pas dupes. Il confirme que Haïfa est le plus grand club du pays. Mais quand la discussion dérive sur le niveau européen, Uri et Nioran, présidents du club des Green Apes ultras, reconnaissent dans un sourire gêné que Haïfa ne pèse pas bien lourd.  L’UEFA classe le club au 102ème rang. Depuis plusieurs années, l’équipe court après une qualification en Ligue des champions. Cette année, ils ne sont pas passés loin. Ils leur manquaient un but face au grand Liverpool. Ils espèrent se rattraper en coupe de l’UEFA au milieu de clubs reconnus comme les Glasgow Rangers ou Auxerre.

Alain, Deykel et Alon s’accordent à dire que les événements de cet été ont sacrément empêché le bon déroulement des entraînements. Ronny Levy, leur entraîneur explique que dans les premiers jours du conflit, l’équipe s’est retrouvée écartelée entre Tel Aviv, pour ceux qui avaient choisi de fuir, et Haïfa. Puis ce fut le temps des exils : un camp d’entraînement aux Pays-Bas pendant une semaine, sept nouveaux jours en Autriche, une dizaine d’autres dans la capitale israélienne. Et à chaque fois, les proches des familles qui restent en dehors de ces déplacements. « Il n’y a bien sûr rien de mieux que de jouer à la maison, de ne pas devoir quitter ses enfants, sa femme, de les laisser en Israël », ajoute l’entraîneur.

 

Des joueurs et une équipe éreintés par la guerre

 

Plus que psychologiques, les conséquences de la guerre pour le club sont sportives et financières. Le coup dur de l’élimination face à Liverpool mêlé aux deux déplacements (un en Angleterre et un à Kiev pour le match à domicile) juste avant la reprise du championnat a pesé lourd dans la défaite lors du premier match face à Netanya 3-1. Le Maccabi Haïfa a passé ces trois derniers mois en déplacement. «C’est un truc de fou. On a pris l’avion quatorze fois en trois mois. Aucune équipe européenne n’a fait ça», peste Alain Masudi. Gagner contre le Maccabi Petah Tikvah 1 – 0 lors de la troisième journée du championnat relève, dans ce contexte, d’un exploit pour le joueur. Le match avait lieu un dimanche, l’équipe était rentrée des Pays-Bas deux jours auparavant. Ils étaient partis y disputer leur premier tour de la coupe UEFA à « domicile » contre les Bulgares du Litex Lovech.

Haïfa a laissé des plumes dans la guerre. Le Maccabi a lui laissé des points et surtout de l’argent. « Un million de dollars » croit savoir l’entraîneur, le prix des déplacements imposés par l’UEFA qui juge que les terrains israéliens ne sont pas sûrs ; ils le sont pour le championnat mais pas pour les coupes européennes. Le prix également des billets non vendus à Qyriat Eliezer voire dans le plus grand stade du pays. « Si le match contre Liverpool avait eu lieu en Israël, on aurait rempli le stade national Ramat Gan [40 000 places] », assure Roy Daniel, l’attaché de presse. Le manque à gagner en terme de billetterie est abyssal.

Dans un budget de 50 millions de shekels (environ 10 millions d’euros, deux fois moins que celui d‘Auxerre, par exemple), les pertes sont douloureuses. Heureusement à la tête du Maccabi, Jacob Shahar, président de la première compagnie automobile d’Israël qui commercialise notamment les véhicules Honda (le sponsor du Maccabi Haifa est bien évidemment le constructeur japonais), a fait du club sa danseuse dans les années 90. Haïfa peut donc compter sur l’argent de l’industriel.

Pas suffisant tout de même pour que le club puisse atteindre la prestigieuse Ligue des champions. Il faudrait pour cela, plus qu’une hausse de budget, un championnat compétitif, une ouverture sur les autres championnats européens. Haïfa a encore, malgré son statut de plus gros club dans son pays, de nombreux problèmes à surmonter. Assez pour que la géopolitique ne vienne pas s’en mêler.


 

Paru dans So foot

Photos de Violaine Molinaro

 

 

 

 

 

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L
Je ne te connais pas mé ton blog il et génial sérieu je l'aime beaucoup bon ba peut etre a plus tard....aurevoir A+
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